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Peinture réalisée par Gail Collins. |
Lorsque l'on évoque les pionniers du heavy metal, c'est immédiatement vers le trio britannique, composé de Black Sabbath, Led Zeppelin, et Deep Purple, que l'on se tourne. Bien que les citer est indubitable, il serait déplorable de ne pas faire un peu d'archéologie, afin d'exhumer des formations longtemps occultées par les trop imposants succès des groupes susdits. Bien qu'il y ait d'autres compositions européennes largement oubliées dont on peut produire l'élégie, il est judicieux de désormais se diriger de l'autre côté de l'Atlantique.
En effet, outre The Stooges, Blue Cheer, Steppenwolf, Iron Butterfly, ou encore Grand Funk Railroad, on décèle, sur le littoral new-yorkais, une poignée de groupes dont l'activité est cruciale pour le développement du heavy metal. Vanilla Fudge, Blue Öyster Cult, Sir Lord Baltimore, puis plus tard Kiss, sont particulièrement crédités dans le bourgeonnement du genre. Mentionnons également l'éphémère et obscur bluesy Bull Angus, ainsi que Dust, lequel comprenait en ses rangs le jeune Marc Bell, futur Marky Ramone, second batteur des Ramones, essentiel peloton du Queens (lieu de de création de Kiss) responsable de l'émergence du punk rock et du heavy/thrash metal, ainsi que le chanteur et guitariste Richie Wise, qui supervisera, en compagnie du producteur de Dust, les deux premiers disques de Kiss ! Mais enfin, toujours dans cette région, parlons d'un nom ayant joué au fameux Woodstock et qui est très connecté à Cream, il s'agit de Mountain.
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Premier album de Leslie West. |
La même année, Pappalardi commande le culte "Disraeli Gears" de Cream, ainsi que "Wheels of Fire" et "Goodbye" les deux courses du soleil plus tard. Ces florilèges parsemés d’un blues psychédélique lancinant vont profondément marquer Leslie West, qui va aussitôt initier sa carrière solo, depuis l’œil bienveillant de Pappalardi. Tout comme Cream, West fonctionne en termes de "power trio", dont Norman Landsberg à la basse et au clavier. Un premier essai est rejeté par l’agent d’Atlantic Records, qui suggère de s’enrôler en tant que bassiste. Sous la neuve bannière de Windfall Records, tissée par Pappalardi, notre imposant personnage issu du Queens concocte "Mountain" en juillet 1969, grâce au soutien de Norman Smart aux percussions. Par la suite, l’ancien claviériste est remplacé par Steve Knight, du groupe Devil’s Anvil, également produit par Pappalardi. Par ailleurs, l’introduction du clavier est en partie due au fait que l’employé d’Atlantic veut tout de même ajouter une touche de singularité, au détriment de la volonté de West, très admiratif de la disposition de Cream.
Rebaptisée Mountain, d’après le nom de l’originel recueil de notre future icône de New-York, l’équipe de celle-ci présente au public à divers lieux avant d’atterrir au désormais fameux Woodstock Festival lors du second jour, le samedi 16 août 1969, de 21h à 22h. Cette performance, étant seulement leur troisième (!) est acclamée, conduisant à l’enregistrement du "véritable" premier album du groupe, puisque "Mountain" est davantage considéré comme une production personnelle de West. Entre-temps, Laurence Laing est substitué à Norman Smart afin d’assurer le rôle de batteur, considéré comme plus habile. Conçu au grand studio new-yorkais Record Plant (où les New York Dolls vont écrire leur initiale réalisation de 1973 ; où Fleetwood Mac va construire "Rumours" en 1977 ; les Eagles, avec "Hotel California" en 1976…) à la fin de l’année 1969, évidemment produit par Pappalardi, toujours au sein de Windfall Records, et décoré par une peinture de la femme de ce dernier, Gail Collins (le couple a de plus aidé Cream à composer "Strange Brew" et "World of Pain" sur "Disraeli Gears" !), "Climbing!", capturé en seulement dix jours, paraît en mars 1970, précédé du magnanime titre "Mississippi Queen" en février.
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Illustration du single "Mississippi Queen". |
Celui-ci est un succès immédiat, propulsant la formation du Queens en tête du paysage hard rock de la nouvelle décennie. Ce morceau, d’une durée modeste, est un gigantesque pavé tumultueux, étendant le blues psychédélique de Cream à un niveau d’intensité et de puissance peu communs, tandis qu’au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, Black Sabbath s’élève. "Theme for an Imaginary Western", magnifique hard rock atmosphérique, est co-écrit par Jack Bruce et Pete Brown, respectivement porte-parole et collaborateur de Cream. On peut dénoter l’approche très "brucienne" du chant de Pappalardi, au style assez opératique. Hendrix en personne est un des premiers enthousiastes de la montagne de New-York, accédant au mixage final de "Climbing!", et la félicitant particulièrement pour l’excellent "Never in my Life", lequel, avec un tel degré de distorsion, est un mastodonte essentiel à la définition du heavy metal.
"Silver Paper" dévoile un blues rock au format un peu plus pop, teinté du clavier de Laing, avec un refrain qu’aucun n’est prêt d’oublier. "For Yasgur’s Farm" est un dramatique hommage à Max Yasgur, le propriétaire des 240 hectares où s’est déroulé le Woodstock. Cet éminent fermier décédera peu de temps après, en 1973. Ce morceau cristallise ainsi sa mémoire. "To My Friend", pause instrumentale féérique, nous permet d’écouter les talents de West à l’acoustique, sur un ton relativement celtique. "The Laird", où Pappalardi réussit une fois de plus à parfaitement imiter les vocalises de Jack Bruce, est une pièce psychédélique envoûtante, prolongeant encore l'apaisante interlude, postérieure au tonnerre électrique dont l’auditeur s’est nourrit, avant de reprendre le large au cœur du maelström sonore proposé par Mountain. Ainsi, "Sittin’ on a Rainbow" réitère l’énergie olympienne de la Gibson Jr. de West, avec les sonnailles et percussions entêtantes de Laing. Enfin, "Boys in the band" achève l’œuvre sur un autre tandem
vocal remarquable de Pappalardi et West, aux riffs robustes et au leitmotiv mélancolique.
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Leslie West en 1970. |
Entre-temps, West conclura son rêve : jouer avec Jack Bruce du cultissime Cream. C’est chose faite, en compagnie de Corky Laing, avec le provisoire West, Bruce & Laing. Une résurrection du groupe, sans le line-up classique, est suscitée dès 1973, sans grand succès. Leslie West poursuivra son aventure avec Laing, enregistrant même un album avec Mick Jagger à la guitare en 1975. Malgré des tentatives répétées, Mountain échoue à réapparaître pleinement dans le circuit musical au court des décennies suivantes. Cela n’empêche pas le projet de West de rester jusqu’à aujourd’hui fermement inscrit dans le panthéon du rock, et d’être crédité comme une influence cruciale dans le développement du hard rock, du heavy metal, et de leurs styles affiliés, tel le stoner rock. Petite remarque amusante : du premier album live de Mountain, "Live : the Road Goes Ever On" paru en 1972 et achevant la fin de l'initiale période de la formation, contient la représentation du titre "Long Red" au Woodstock, titre issu de l'initiale maquette de West de 1969. Les trente premières secondes font partie des compositions les plus "samplées" de l'histoire du hip-hop ; des artistes tels que Kanye West, Public Enemy, ou encore A Tribe Called Quest l'ont utilisé !
Johnny Ramone, colosse préliminaire du punk rock, qui vivait dans le même quartier que West, le cite comme inspiration, de même qu'Eddie Van Halen, à l'autre extrémité du pays. Notre héros de Mountain décédera le 23 décembre 2020 d’une crise cardiaque, à posteriori d’une santé fragilisée par un goût copieux pour les stupéfiants, ainsi qu’un diabète plus récemment diagnostiqué. Plus tôt, le 17 avril 1983, l’ancien producteur de Cream et bassiste de Mountain, est assassiné par sa femme, par la cause de tensions conjugales. Ces deux hommes, ayant largement contribué à l’évolution du rock, restent à jamais dans les cœurs par la réécoute de cette superbe galette qu’est "Climbing!".
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De gauche à droite, au premier plan : Corky Laing, Steve Knight ; au second plan : Felix Pappalardi, Leslie West. |
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