A l'aube de la décennie rétrospectivement labellisée "ère de la contreculture hippie", le blues électrique pénètre les terres de l'autrefois dénommée Albion, notamment, dès 1958, par les efforts de Muddy Waters. Dès lors, outre les Rolling Stones, c'est surtout dans les rangs de deux groupes phares, The Yardbirds et The Bluesbreakers, que la crème du blues britannique va émerger. Ceux-ci ont intégré (liste non exhaustive) Jeff Beck, Eric Clapton, Jimmy Page, Peter Green, Mick Fleetwood, Mick Taylor, Andy Fraser, ou bien Jack Bruce. The Bluesbreakers, formé par le très regretté John Mayall, fut, en plus de s'incarner comme un admirable vivier passionnant du blues dans l'ancien empire colonial, est un tremplin crucial dans l'évolution de divers musiciens, dont beaucoup viennent d'être mentionnés. Fleetwood Mac, Led Zeppelin, Free, et bien sur les Rolling Stones vont connaître un fulgurant succès, mais d'autres comparses issus des mêmes cercles, bien qu'ayant produit de mémorables albums, n'auront malheureusement pas le même destin. Parmi ces membres, nous allons nous pencher sur le cas de Keith Hartley, surnommé "Keef".
Notre homme nait le 8 avril 1944 à Plungington, dans le comté du Lancastre et s'intéresse à la batterie au fil de sa croissance. Il est instruit à cet art par un certain Lloyd Ryan, lequel a eu comme disciple le célèbre Phil Collins de Genesis, ou encore John Coghlan de Status Quo. Sa carrière débute en 1963, lorsqu'il apparaît brièvement au sein de deux bandes de Liverpool, durant l'évolution du "merseybeat" ; Freddie Starr & The Midnighters, et Rory Storm & The Hurricanes. Concernant ce dernier, Hartley est recruté afin de remplacer un certain Ringo Starr, qui va par la suite rejoindre un groupe de Liverpool aujourd'hui bien connu...
Peu après, il va voyager jusqu'à Londres et prendre part aux élucubrations musicales de The Artwoods. C'est une autre formation notable, puisqu'en plus d'être le titre éponyme du chanteur Art Wood, le frère de Ronnie Wood (futur Faces et Rolling Stones), elle contenait Jon Lord, futur claviériste de Deep Purple ! Leur première galette est réalisée en 1966, commandée par Mike Vernon, ayant produit John Mayall, et... le premier album de David Bowie. L'année suivante, il joue sur les cultes "Crusade" (Mick Taylor, également un futur Stones, à la guitare), et The Blues Alone" de John Mayall. Puis il est encouragé par ce dernier à constituer son propre projet, ce qu'il opère en 1968.Hartley, décidé à construire sa propre équipe de blues rock, s'entoure alors de divers artistes expérimentés (rassemblés et désignés comme "The Nucleus"), tels que Miller Anderson au chant et à la guitare, Peter Dines au clavier (tous deux joueront pour T. Rex de Marc Bolan), Gary Thain à la basse (qui rejoindra Uriah Heep), Ian "Spit James" Cruickshank (évoluant plus tard dans le jazz manouche), accompagnés de deux paires de trompettistes et saxophonistes. Il est ainsi un des rares batteurs à mener son dessein audiophile, aux côtés, dans le registre du blues britannique contemporain, d'Aynsley Dunbar (expulsé par John Mayall après sa participation sur l'album "A Hard Road"). La première œuvre du Keef Hartley Band, baptisée "Halfbreed", est enregistrée sur plusieurs journées d'octobre et décembre 1968, et est supervisée par Neil Slaven (Chicken Shack, Egg). Elle sort au printemps 1969, sous la houlette de Deram Records, subdivision de Decca Records, pour un contrat d'une unique offrande. La pochette de front est une photographie de Bob Baker, dépeignant Hartley en indien d'Amérique.
Un parfum très enraciné dans l'essence de la musique américaine, en particulier le jazz, est immédiatement pressenti dès les initiaux retentissements de "Sacked", précédés par un court dialogue téléphonique entre Hartley et Mayall. En effet, depuis celui-ci, en passant par "Shinnin' for You", "Just to Cry" (rappelant Miles Davis), et "Too Much Thinking" (où l'esprit d'Albert King n'est pas loin), l'âme du jazz est fermement inscrite en collaboration avec une structure blues et rock, à la manière du "Super Session" de 1968, orchestré par Al Kooper (ayant joué chez Blood, Sweat & Tears), de même que depuis les productions du légendaire Frank Zappa. Ceci est justifié par les expériences des artistes aux instruments à vent ici présents. Lyn Dobson (saxophone), lequel joue notamment de la flute sur "Shinnin' for You", apportant une belle touche pastorale, ira travailler avec des noms importants du jazz-rock tels que Manfred Mann, et Soft Machine. Henry Lowther (trompette), s'adonnant aussi à une fine partition de violon sur le dramatique "To Much Thinking", a un palmarès assez impressionnant, puisqu'il jouera, en comptant au passage Jack Bruce et John Mayall, pour de grands pianistes tels que Memphis Slim ou Gil Evans, ainsi que pour des groupes de rock issus de la nouvelle vague, comme The Pretenders, ou The Buzzcocks. Harry Becket (trompette), a connaissance de Charles Mingus, et Chris Mercer (saxophone) ira jouer pour Freddie King et même Slade.
Outre ce solide composé riche de personnalités faisant le pont entre jazz et rock, on ne manque pas de véhémence blues. "Born to Die" est une pièce atmosphérique, épique de dix minutes, peut-être bien une des créations les plus réussies de l'histoire du blues rock, aux leads inoubliables de Spit James. "Leavin' Trunk", reprise du grand mais méconnu John Estes, possède un fougueux groove, entre blues et rock'n'roll. "Leave It Til the Morning" radoucit le ton par une touche country rock, constamment aéré par une patte jazzy. Enfin "Think It Over" titre du maître B.B. King, ravira les fans de Jimi Hendrix, avec un effet wah-wah séduisant. L'album s'achève sur "Too Much to Take" où l'on entend une nouvelle fois (les mots inaudibles ?!) de John Mayall.
La popularité inattendue de "Halfbreed" va permettre au Keef Hartley Band de fortifier son existence en performant au fameux Woodstock Festival le 16 août 1969, de 16h45 à 17h30 précisément, peu de temps après Santana, et avant Canned Heat ! Malheureusement, contrairement à d'autres groupes, leur apparition ne sera pas conservée, leur manageur refusant toute diffusion sans paiement conséquent de la part des organisateurs du festival. S'ajoutent quatre albums et des tournées avec Led Zeppelin ou Deep Purple, avant que l'aventure de l'équipe britannique ne prenne fin en 1972. Courant seventies, il poursuivra sa relation musicale avec John Mayall, ainsi, un anonyme peloton intitulé Vinegar Joe, avant de délivrer un recueil solo, "Lancashire Hustler". Il s'essaiera au rock progressif avec Dog Soldier en 1975, spécifiquement en compagnie de Miller Anderson, et de son collègue Derek Griffiths, ayant joué avec lui au sein des Artwoods, pour finalement quitter le circuit artistique.
En 2007, Hartley écrira sa biographie, titrée "Halfbreed (A Rock and Roll Journey That Happened Against All the Odds)", puis décèdera en novembre 2011, à 67 ans. "Halfbreed" est selon nous un classique oublié mêlant les qualités du blues du jazz et du rock, avec une compétence, élégance, et diversité remarquables, à écouter de toute urgence.
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