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De gauche à droite : Clive Bunker, Mick Abrahams, Ian Anderson (assis), Glenn Cornick. |
Si le génie précoce d'Ian Anderson s'est affiné au fil du temps, c'est partiellement du au fait que le destin l'a amené a favoriser un instrument encore peu usité dans le milieu du rock : la flûte traversière. Il est initialement entré en relation avec cette organe après l'avoir entendu dans les mains du jazzman visionnaire Rashaan Roland Kirk, ainsi qu'après avoir expérimenté une indifférence progressive de la guitare, laquelle ne lui octroierait qu'un anonymat supplémentaire, dominant progressivement le milieu musical populaire de son époque.
De plus, en observant un talent comme celui d'Eric Clapton, il se fit à l'idée que s'il ne pouvait égaler ce dernier, il serait préférable de se tourner vers quelque chose de plus singulier. Bercé dans le jazz, c'est bien vers le blues, dont le lien avec le style issu de la Nouvelle-Orléans est évident, et dont le regain d'intérêt, dès le milieu des sixties, est palpable, que notre natif d’Écosse va se diriger, en adoptant une approche, on va le voir, assez distinguée.
Le groupe se forme en 1967 à Blackpool, dans le Lancastre, d'après l'homonyme Jethro Tull, un chercheur en agriculture anglais ayant vécu au XVIIIème siècle. Cet épithète, choisi parmi tant d'autres (Candy Coloured Rain, Navy Blue...), leur a été sélectionné par l'un de ses agents responsables des réservations des concerts, notamment au célèbre Marquee Club, où Alexis Korner, Pink Floyd, ou encore les Rolling Stones ont fait leurs débuts sur scène. Il est composé de camarades de classe d'Anderson, dont John Evan à la batterie et John Hammond à la basse. L'équipe de notre futur flûtiste virtuose se stabilise finalement en fin d'année 1967 avec Mick Abrahams à la guitare, son ami Clive Bunker à la batterie, ainsi que Glenn Cornick à la basse. Les deux premiers collègues réapparaitront quelques temps plus tard, durant "l'âge d'or" de Jethro Tull. Mais ne digressons pas.
Un premier single voit le jour en février 1968, par erreur crédité "Jethro Toe" ! Le National Jazz & Blues Festival (où ont joué Cream ou Fleetwood Mac), monté au courant des sixties, représente la plus majeure exposition au public du groupe, laquelle lui permet de sécuriser un contrat auprès de la grande compagnie Island Records. Produit entre le 13 juin et le 23 août 1968 au Sound Techniques Studio (Nick Drake, Fairport Convention...), par Terry Ellis (qui accompagnera la bande à Anderson durant les années suivantes), "This Was" est délivré en octobre 1968, le même mois que "Electric Ladyland" de Hendrix, et "Electric Mud" de Muddy Waters. La couverture nous dévoile les membres, faussement âgés, dans une esthétique très "campagnarde", reflétant le titre du disque, ce dernier évoquant encore peut-être l'origine très reculée du blues.
Globalement, on peut assimiler le son de Jethro Tull à celui des Bluesbreakers de John Mayall, ainsi qu'au Fleetwood Mac de Peter Green, constituant ainsi la crème du british blues. "My Sunday Feeling" ouvre "This Was" par un blues rock solide, dru, et énergique. L'histoire nous apprend que jusqu'à l'enregistrement de ce recueil, quelques mois d'apprentissage de la flûte ont été assimilé par Anderson. On peut en conséquence remarquer le talent incroyable de cet excentrique personnage, tel qu'il est aussi dépeint sur "Beggar's Farm". N'omettons pas sa prouesse à l'harmonica, comme sur le superbe "Some Day the Sun Won't Shine for You", qui rappelle "Key to the Highway" de Big Bill Bronzy dans un registre à la John Mayall. "Move on Alone" est une exquise ballade aux guitares très "jangly", façon Byrds. "Serenade to a Cuckoo" est une reprise de Rashaan Roland Kirk, où sont exposées les influences jazz avec brio. Le jeu de flûte d'Anderson présent sur ce titre est absolument intemporel.
"Dharma for One" met en exergue l’efficacité de Clive Bunker, où se poursuit l'inspiration jazz-rock. "It's Breaking Me Up" est un énième classique blues original dans le ton de "My Sunday Feeling", suivi de "Cat's Squirrel" jam hard rock, au jeu de lead guitare intense de Mick Abrahams. "A Song for Jeffrey" dédicacé à Jeffrey Hammond, ami d'Ian Anderson, revient sur une saveur plus traditionnelle, avec l'accompagnement au steel guitar. Enfin, "Round" clôture le disque sur une légère patte jazzy.
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Jethro Tull en concert avec Iommi à la guitare ! (A droite) |
La popularité du groupe va largement s'étendre en 1969, lorsqu'il ouvrira pour Hendrix ou Led Zeppelin. "Stand Up", seconde offrande, verra la formation mûrir vers des territoires plus subtils, tout en maintenant sa tonalité blues. Anderson refusera la proposition de passer au Woodstock, car ne voulant pas être associé au mouvement hippie ! Les seventies seront marquées par la parution de "Aqualung" et de "Thick as a Brick", deux chefs d’œuvre grandioses de l'histoire du rock. Bien que Jethro Tull ne soit toujours pas admis au Rock and Roll Hall of Fame (ce qui semble convenir à Anderson), il reste aujourd'hui une des références obligées du rock britannique.
A la manière de Fleetwood Mac, la bande à Anderson a démarré dans le blues avant d'accroître sa stature par un autre visage. "This Was" est selon nous un des meilleurs produits que le blues d'après-guerre a amené au public. Si cet album est resté dans l'ombre, ce n'est pas dû à une qualité discutable, mais au fait que le groupe, ayant déchaîné les classiques susdits, n'est plus vraiment associé au "pur" blues. Ainsi, on recommande aux auditeurs de redécouvrir cet excellent témoignage avec allégresse.
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De gauche à droite : Glenn Cornick, Ian Anderson, Clive Bunker, Mick Abrahams. |
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