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Roy Buchanan - Roy Buchanan (1972) REVUE

 


Dans la série des guitaristes classiques hors-pairs aujourd'hui totalement éclipsés par des homologues au succès fulgurant, tels Keith Richards, Jimmy Page, Jimi Hendrix, ou Mark Knopfler, un certain pionnier de la Fender Telecaster, originaire de l'Arkansas, mérite que l'on s'attarde sur son aventure artistique un bien long moment. Les précédant, il fait partie des héros méconnus de la fameuse guitare, laquelle est l'initiale réussite commerciale du géant Fender, aux côtés d'Albert Collins, ou encore Wilko Johnson. 

L'homme dont nous parlons est peut-être ignoré des cercles plébéiens, mais pas des musiciens. On s'explique : il a refusé la possibilité d'intégrer les rangs des Rolling Stones, lorsque la place du regretté Brian Jones fut vacante ; Eric Clapton n'a pas hésité à le couvrir d'éloges ; par son goût pour les racines de la musique américaine, il a directement donné impulsion à Robbie Robertson, lequel va former le culte The Band ; Jeff Beck en personne, qui deviendra son ami, a développé son jeu grâce à lui, et va lui rendre un bel hommage sur le titre "Cause We've Ended as Lovers" sur le légendaire recueil "Blow by Blow" de 1975 (également dédicacé à Stevie Wonder), auquel il répondra un an plus tard par "My Friend Jeff". Voici l'incontournable Leroy Buchanan.

 

Dès l'adolescence, il impressionne tout son entourage par sa maîtrise de la steel guitar, ce qui va le pousser à se consacrer exclusivement à la pratique de cet instrument à cordes pincées. Notre natif d'Ozark (Arkansas) va jouer dans quelques groupes éphémères, et même faire passer à l'écran, sur le film "Rock, Pretty Baby", et l'émission "Oklahoma Bandstand" à seulement 17 ans. C'est à travers cette dernière qu'il va rencontrer l'auteur du hit de 1957 "Susie-Q", Dale Hawkins, avec lequel il inaugurera enfin sa carrière professionnelle, en enregistrant en sa compagnie un classique de Willie Dixon, "My Babe", l'année suivante, au sein de Chess Records. Entretemps, il fera l'acquisition de sa Telecaster, qu'on ne peut dissocier de son âme de guitariste. Durant deux ans, Buchanan va se produire avec Hawkins et accroître sa renommée. Celle-ci va le projeter jusqu'au Canada, où il va faire la connaissance du cousin de Dale, Ronnie, lequel va l'amener à redresser artistiquement le jeune Robbie Robertson, qui va être stupéfait par la technique peu orthodoxe et avant-gardiste de Buchanan ; témoignage relayée par Les Paul également !

Malgré les pléthoriques compliments de tant de personnalités, cela ne suffira pas à le propulser au premier rang des bluesmens. En 1968, John Gossage, ami et photographe, l'invite voir Jimi Hendrix jouer. Bien qu'impressionné, il s'attriste de constater que le wah-wah qu'il a achevé par la guitare seule est ici rendu par une pédale d'effet. Cela le conforte dans l'idée, à contrecourant de la popularité du rock psychédélique, de poursuivre son style fixé dans le "roots" rock, mêlant éléments blues, country, et folk. En 1970, après avoir refusé une proposition de recrutement par les Rolling Stones, une chaine de télévision, ayant réalisé un documentaire sur lui (au sein des Snakestrechers, un peloton spécialement formé pour les besoins de l'émission) l'a qualifié d'un titre honorifique que beaucoup auraient fantasmé : "le meilleur guitariste inconnu du monde entier". Par cette gravure marquée dans la pierre merveilleuse de l'histoire du rock, sa carrière va immédiatement être propulsée, occasionnant une signature avec le géant Polydor Records. 

Son véritable album original, si l'on ne compte pas le bouquet de morceaux capturés lors des agitations provisoires des Snakestrechers, peut enfin voir la lumière du jour. Produit par un agent de Polydor, Peter Siegel, dont l'expérience de l'enracinement musical américain semble incontestable, l'album éponyme de Buchanan, délivré l'été de 1972, est un concentré de country et de blues fins et délectables. Un son impeccable, manifesté, sans équivoques, par l'équipe des Snakestrechers (Chuck Tilley au chant, Teddy Irwin à la guitare rythmique, Pete Van Allen à la basse, Dick Heintze au clavier, et Ned Davis à la batterie), permet d'anticiper les premiers disques d'un Dire Straits (et les futures réalisations personnelles de Mark Knopfler), et d'accompagner les travaux contemporains d'un J.J. Cale, d'un Rod Stewart, ou bien entendu de The Band, qu'orchestre Robbie Robertson.  


Ceci s'approuve par l'écoute enchaînée de "Sweet Dreams", "I Am a Lonesome Fugitive", et la piste instrumentale "Cajun", dont on ressent l'influence particulière de la country. Sur le premier titre, qui est une adaptation d'un standard country écrit par Don Gibson en 1956, éclate une émotion inénarrable, articulée par les motifs profonds de notre roi oublié, caractérisés par un ton tranchant, clair, et incisif, des bends expressifs, et des licks soutenus, le tout dans un format transpirant davantage le blues électrique. Le second morceau projette le même horizon country roots que "Sweet Dreams", mais dans le sens d'une ballade. C'est également une reprise de Merle Haggard et les Strangers, composé par Liz Anderson en 1966. "Cajun" est une pièce originale courte, toujours marquée par la tradition nord-américaine. 

Les fanatiques de pur Chicago blues ne sont pas en manque, puisque "John's Blues" et "Pete's Blues" les assènent d'un groove aussi prenant que des brulots tels que "Since I've Been Loving You", "Have You Ever Loved a Women", ou "Just You and Me" de certaines pointures connues du blues rock des seventies. Mention spéciale à la section rythmique de "Pete's Blues", absolument propre et puissante. Sur ce même titre, on constate tout le potentiel de Buchanan, plus son shredding et son "chicken picking" (qu'il emprunte probablement à James Burton). Intercalé entre ces deux segments blues est "Haunted House" de Bob Geddins, un autre standard country qui sert de "pause" entre chaque frénésie. "The Messiah Will Come Again" est le morceau phare du guitar hero, avec son introduction parlée très orientée gospel. La seconde moitié du titre est un autre solo épique fraichement dessiné par cette rigidité très sensible de la Telecaster de Buchanan. Enfin "Hey, Good Lookin" rend hommage au grand Hank Williams avec brillance, sur une touche de réconfort. 
   

 

L'attracteur des racines de la musique moderne nord-américaine a bénéficié d'une reconnaissance modérée par le biais de son second album solo, intitulé... "Second Album", en 1973, toujours chez Polydor Records, chez qui notre champion oublié du blues va publier encore deux disques. Ensuite, notre prodige au béret va être domicilié chez Atlantic Records, puis le célèbre et cultissime Alligator Records (Buddy Guy, Johnny Winter, Albert Collins...) à la fin des eighties, après que Bruce Iglauer l'ai remarqué le temps d'une performance. Celui-ci va relancer sa carrière. Entre les sécurisations de ces deux labels, dès 1980, Buchanan a pourtant failli tout arrêter, des mésaventures liées à l'alcool et aux drogues n'ayant pas aidé. 

Le 14 août 1988, à la suite d'un différend avec sa femme, partiellement provoqué par l'influence de l'éthanol, il est mit en détention par les autorités du comté de Fairfax, en Virginie, là où il vit. Aussitôt entravé, l'interprète de "Sweet Dreams" est retrouvé pendu à son propre t-shirt, à l'une des barres de sa cellule... Bien que la cause du décès officielle rapportée est un suicide, des marques sur le crâne laissent présager qu'il s'agit d'un meurtre. Cependant, cette affaire absconse n'a, à ce jour, jamais pu concilier tous les esprits... Néanmoins, à ce titre, sa musique est éternellement présente. Leroy Buchanan a laissé derrière lui un patrimoine artistique solide, que l'on se devait de témoigner. La voix de ce maître incontesté de la Telecaster de 1953 reste ancrée dans les âmes, à travers le désormais classique et essentiel "The Messiah Will Come Again".




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