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Willie Dixon - I Am the Blues (1970) REVUE

 "La figure de proue légendaire du blues de Chicago prouve qu'il incarne parfaitement ce qu'il a semé !"

 "Avant tout un producteur, administrateur, et compositeur de génie, Willie Dixon a aussi mit en exergue ses talents également approuvés de chanteur et contrebassiste. Épaulé par plusieurs noms célèbres tels que Walter Holton et Clifton James, il interprète lui-même les grands classiques qui ont initialement été immortalisés par Howlin' Wolf et Muddy Watters."

 

 


 Impossible de conter et d’honorer l'histoire du genre représenté par les Charley Patton, Reverend Garys, ou encore Bukka White (selon les initiales archives de l'industrie musicale) sans mentionner le vénérable Willie Dixon. Ce dernier est surement la principale personnalité responsable de l'import et du maintien de la tradition du blues au sein de son avancée après la seconde guerre mondiale, dont le langage va se moderniser davantage. Cet ancien boxeur (il possédait une carrure impressionnante et avait même gagné un championnat en 1937) va dès sa jeunesse la plus reculée être pris de passion pour les lamentations artistiques de la frange noire-américaine, jusqu'à concrétiser à son tour plusieurs projets, autant à l'aube du grand conflit mondial (dont il va refuser le service militaire pour cause de racisme), que lors de l'achèvement de ce dernier. Passée la vingtaine, il s'installe à Chicago, où il va plus tard devenir l'orfèvre ultime du blues.

 

Une décennie plus tard, il intègrera les rangs du légendaire label Chess Records, qui n'est autre que l'écurie sonore s'étant occupé de poulains tels que Howlin' Wolf, Muddy Waters, Bo Diddley, ou Chuck Berry ; rien que ça ! Moins productif sur le devant de la scène (bien qu'il soit très compétent à la contrebasse), Willie fera des merveilles en tant que pur compositeur. Il est aujourd'hui admit que notre colosse figure du chicago blues a écrit pas moins de cinq cents titres ! Parmi ceux-ci, on a par exemple "Hoochie Coochie Man", d'abord interprété par Muddy Waters, puis repris par les Allman Brothers, Hendrix, Steppenwolf, ou bien Motörhead ; "Spoonful", par Cream, Paul Butterfield, Canned Heat, Ten Years After ; "I Ain't Superstitious", par les Yardbirds, le Jeff Beck Band, et même Megadeth ; "You Shook Me" et "I Can't Quit You Baby", sur le premier album de Led Zeppelin ! Quelques efforts, dont trois avec le pianiste Memphis Slim, vont connaître un certain intérêt durant les sixties, mais c'est véritablement le disque de février 1970, baptisé "I Am the Blues", et délivré depuis Columbia Records, qui l'inscrira, en parallèle à sa carrière de bâtisseur de classiques, comme musicien hors-pair.

 

Alors que l'intitulé peut paraître dilaté de suffisance, il n'en est rien concernant Willie Dixon, puisque celui-ci incarne effectivement le blues, dans sa réactualisation de l'après-guerre, telle qu'est classifiée l'histoire par les spécialistes. Ainsi, comme l'indique le titre, "I Am the Blues", c'est bien lui ! L'intérêt porté à cette offrande est qu'elle permet d'écouter notre producteur interpréter lui-même les grands classiques qu'il a écrit, supporté par une solide équipe désignée ici comme "Chicago Blues All Stars" : Walter Horton à l'harmonica (qui a joué avec Big Mama Thornton, Muddy Waters, Jimmy Rodgers, Johnny Winter), Lafayette Leake et Sunnyland Slim au piano (le premier apparait sur "Johnny B. Goode" de Chuck Berry, et le second a travaillé avec Howlin' Wolf et Little Walter), Johnny Shines (qui a joué avec Mississippi Fred McDowell), et enfin Clifton James (lequel a joué avec Bo Diddley et Buddy Guy).

Sur les neufs titres que l'on retrouve, quatre ont d'abord été connus par le biais de Howlin' Wolf ("Back Door Man", "Spoonful", "I Ain't Superstitious", "The Littler Red Rooster") ; trois autres, par Muddy Waters ("You Shook Me", "Hooche Coochie Man", le méconnu "The Same Thing") ; "I Can't Quit You Baby" a originellement été perceptible par le respectable Otis Rush ; "The Seventh Son" a fait parler de lui à travers Willie Mabon. En quelque sorte, "I Am the Blues" peut être considéré comme un "best-of" des travaux de Willie Dixon. On est totalement happé par sa performance, laquelle, bien qu'habituellement mise en arrière-plan, n'a aucunement à pâlir devant la pléthore de reprises, et bien entendu d'originales interprétations (Howlin' Wolf et Muddy Waters en tête). La critique globale accueille cette œuvre avec bienveillance, mais considère que les manifestations des deux pointures du blues que l'on vient de mentionner (Howlin' Wolf et Muddy Waters) restent plus intéressantes.

A notre humble avis, chaque variantes se valent et proposent un visage différent les unes des autres. Celles de Dixon ont une aura plus atmosphérique, soutenues par une production favorisant cela, et notamment par la mise en avant des pianistes ; on a en ce sens un feeling digne de la réminiscence du ragtime précurseur du blues. Celles de Wolf et Waters sont davantage caractéristiques de l'idée habituelle qu'on peut se faire du chicago blues, avec leur approche vocale et instrumentale. L'édition de Dixon et du "Chicago Blues All Stars" de "I Can't Quit You Baby" est d'une rare intensité, offrant un aspect plus classique, en comparaison de la prise forcément plus rock de Led Zeppelin. On placera le même commentaire concernant "You Shook Me". "Hoochie Coochie Man" est un véritable délice, grâce à un environnement planant rythmé par le solo de Shines et l'accompagnement de nos deux excellents pianistes que sont Lafayette Leake et Sunnyland Slim. Dire que Motörhead a rendu hommage à ce morceau ! On en dira autant de "Back Door Man", tandis que mr. Burnett fait rugir ses cordes, qu'elles soient vocales ou provenant de sa guitare. Même chose pour "Spoonful", octroyant une saveur relaxante, en parallèle du plus hargneux Wolf et des glissements rock de Cream ou Ten Years After. Quand ont vient à placer côte à côte les écoutes de "I Ain't Superstitious", Megadeth et notre fameux contrebassiste sont deux mondes. Cependant, le visage peint par Howlin' Wolf de "Little Red Rooster" est assez similaire à celui réalisé par mr. Dixon. Et n'omettons surtout pas la performance incroyable de l’harmoniciste Walter Holton, ainsi que l'évidente maitrise idiosyncratique de la contrebasse de notre producteur de Chess Records !

 


A la fin des sixties, l'ancien boxeur du Mississippi va fonder Yambo Records, qui rendra possible la diffusion de divers singles, ainsi que de son propre album de 1971 (ou 1973) "Peace?". Il passera le reste de sa vie à lutter pour la préservation de la culture traditionnelle du blues. Il sera inclut dans le Blues Hall of Fame dès son ouverture en 1980, aux côtés de nombreuses personnalités telles que Elmore James ou Charley Patton. Il nous quittera en 1992 à la suite tragique d'une crise cardiaque, au terme d'une longue bataille contre le diabète.

Willie Dixon est sans contestation l'écrin essentiel de l'histoire du blues, tel qu'il a évolué après la seconde guerre mondiale. Sans son apport, la scène très importante de chicago, ainsi que toute la culture rock (par exemple, comme on l'a vu, Led Zeppelin et Megadeth, deux légendes du hard rock et du metal, ont une immense reconnaissance envers lui !), n'aurait pas eu de progrès aussi significatifs. Cet édifice imposant de la note bleue à pavé les routes de toute un cercle musical à lui tout seul ! "I Am the Blues" reste encore de nos jours un mastodonte reposant du blues, à infuser dans les oreilles de toute âme éperdue par le chagrin -comme le veut l'esprit du blues- tout comme celles habitées par le feu ravageur de la vie.

 

Le Chicago Blues All Stars ; de gauche à droite : Johnny Shines, Clifton James, Willie Dixon, Sunnyland Slim, Walter Horton.

 

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