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De gauche à droite : Bob Hite, Adolfo de la Parra, Skip Taylor, John Lee Hooker, Antonio de la Barreda, et le cadre de Alan Wilson. |
Dès 1962, et au cours des sixties, le blues, originaire d'Amérique du Nord, s'est considérablement exporté en Europe, avec la tenue du "American Folk Blues Festival". Se déroulant au Royaume-Uni, ou encore en France et en Allemagne, il succède à la notable apparition de Muddy Waters en 1958 dans l'île britannique, occasionnant davantage d'étendue et d'appréciation de la note bleue. Suivant l'impact de la tenue de ce festival, diverses collaborations naissent entre groupes anglais et bluesmens américains. Les premiers font office de "backing band", et les seconds remplissent majoritairement le rôle de chanteur. On connait par exemple l'alliance entre Sonny Boy Williamson et les Yardirds (hiver 1963), ou bien avec les fameux The Animals, ou encore celle entre Groundhogs et John Lee Hooker (automne 1964). Des années plus tard, de retour aux États-Unis, ce dernier va s'associer avec l'une des plus fortes formations blues de l'époque, Canned Heat, et marquer les seventies par un florilège plus qu'influent.
Depuis son single "Boogie Chillen", réalisé en 1948, John Lee Hooker va participer à l'écriture de l'histoire du blues, en devenant le précurseur du sous-genre nommé "boogie rock". Cet ancien employé d'usine va parvenir à se concentrer sur sa nouvelle vie d'artiste, grâce aux ventes spectaculaires de son single dès 1949. Son souffle singulier ira donner impulsion au fameux ZZ Top, à travers le titre "La Grange". Quelques années auparavant, c'est Canned Heat qui brillera intensément, grâce à la propulsion du morceau "On the Road Again", très largement inspiré par l’œuvre de Hooker, de même que "Fried Hockey Boogie" ; deux extraits inclus dans le recueil leur ayant valu popularité et réussite, "Boogie With Canned Heat", sorti en janvier 1968.
Un tel triomphe a permis à la bande à "l'hibou aveugle" ("Blind Owl", surnom d'Alan Wilson, harmoniciste invétéré de génie) de passer au Woodstock, et de s'affirmer comme l'un des groupes les plus importants de la côte ouest américaine, aux côtés de Jefferson Airplane et Buffalo Springfield. Peu de temps après, le peloton de Los Angeles va rencontrer un de leurs pères spirituels, John Lee Hooker, laquelle va les mener à la concoction, en mai 1970, d'un produit musical occupé par une collection quasi-exclusive de titres du répertoire de Hooker, baptisé "Hooker 'n Heat".
Ce double album colossal de quatre faces (pour l'édition vinyle) est en réalité bien plus une pièce de Hooker qu'un travail réparti entre les deux artistes. En effet, notre visionnaire du boogie joue seul sur la face 1, et est seulement accompagné de l'harmonica de Wilson jusqu'à la moitié de la face 3. A partir de l'excellent "Whiskey and Wimmen", on assiste à l'action simultanée de l'ensemble des membres de Canned Heat et de John Lee Hooker, débouchant enfin sur "Boogie Chillen' No. 2", une extension nouvelle, totalement savoureuse, du titre phare du père du blues d'après guerre, qui résume et met en lumière le talent à l'harmonica de Wilson, les leads uniques et expressifs de Henry Vestine, et la précision de batterie et de basse d'Adolfo de la Parra et d'Antonio de la Barreda. La voix granuleuse et pétulante de Hooker s'offre ici au blues comme jamais.
L'entièreté du spicilège est d'une organicité sans précédents. On a réellement, sur la majeure partie de l'album, Hooker, sa voix, sa guitare, et ses piétinements octroyant le rythme ! "Alimonia Blues", "Send Me a Pillow" sont d'un groove unique, avec les méditatifs "The Feelin' is Gone" et "Sittin" Here Thinkin'". Les solos de Hooker transpirent la nervosité incombant au rôle tragique et plaintif du bluesmen. On assiste à une véritable session live, sans aucunes fioritures. A ce titre, les pistes sont, pour la plupart du temps, entrecoupées de dialogues entre les musiciens. "Drifter", classique de Johnny Moore, introduit la créativité d'Alan Wilson à l'harmonica, et le constat d'un accompagnement magistral par la voix lamentée de Hooker. "Burning Hell", "Bottle Up and Go", et le grand "The World Today" sont de telles pépites, attestant de l'osmose entre les deux leaders. On observe la prouesse du "blind owl" au piano sur les deux derniers extraits cités. "I Got My Eyes on You" est d'une performance incendiaire, fidèle à l'esprit du boogie. "Peavine" interprète le boogie par le biais de l'équipe complète de la "chaleur en conserve" (Canned Heat), et "Just You and Me" fait une piqure de rappel sur ce qu'est le blues électrique traditionnel dans son essence.
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Couverture du live de 1978. |
En septembre 1970, quatre mois après la composition de cette galette, est retrouvé, dans son sac de couchage le corps inanimé d'Alan Wilson, pour cause d'intoxication par barbituriques. Cet amoureux de la nature avait pour habitude de dormir à la belle étoile. Ainsi, il ne verra pas le jour de "Hooker 'n Heat" délivré début 1971, projet pour lequel il avait tant d'enthousiasme. A sa mémoire, on peut apercevoir, en arrière-plan de la couverture principale du disque, un cadre contenant une de ses photographies, entourée des membres de Canned Heat et de John Lee Hooker. Quant à ce dernier, il disparaitra paisiblement en 2001 dans son sommeil, à plus de quatre-vingt ans, après avoir tant apporté à la culture blues. Auparavant, la plupart des musiciens de Canned Heat éditeront une prise de concert avec Hooker en 1978, et seront une énième fois partenaires avec lui sur son acclamé "The Healer", publié en 1989.
Pour la première fois, avec la parution de ce long et cultissime recueil qu'est "Hooker 'n Heat", notre anticipateur du boogie rock bénéficiera d'une place bien méritée dans le célèbre magazine Billboard, connu pour ses listing des œuvres musicales. C'est à l'aide de la bande à Wilson qu'il y sera parvenu. Ironiquement, c'est en partie grâce à notre légende des plaines du Mississippi que les bluesmens de Los Angeles ont émergé, et qu'ils ont pu s'afficher comme une des sensations les plus implacables de l'héritage de la note bleue, permettant ainsi, par la suite, de positionner Hooker sur le siège artistique qui lui est dû. Il sera bien entendu compté en priorité parmi les célébrités du Blues Hall of Fame, et ce, dès son ouverture en 1980 ! "Hooker 'n Heat" est un concentré d'authenticité, de passion primitive, érigé par l'esprit du blues, pour l'esprit du blues.
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De gauche à droite : Bob Hite, Antonio de la Barreda, John Lee Hooker, Alan Wilson. |
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