"Stevie Ray Vaughan cimente sa position et son succès uniques au sein d'une décennie davantage tournée vers le hard rock, le punk rock, et la new wave".
"Après deux albums acclamés par tous, l 'égérie Stevie Ray Vaughan, accompagné de son "backing band" Double Trouble, réactualise une fois plus l'héritage de ses héros tels que Jimi Hendrix, et Albert King, et soutient avec passion la scène texane déjà dorée par les Johnny Winter et Freddie King. "Soul to Soul", album mésestimé ? Cela reste à voir..."
Au cours des eighties, le blues électrique, s'adaptant à ce qui constitue le squelette du rock, n'a hélas plus le même engouement qu'il y a dix ou vingt ans, comme on eut pu l'entendre à travers les anciens s'actualisant, tels que Muddy Waters, Willie Dixon, B.B. King, ou encore Freddie King, suivis par le british blues rock de Cream, John Mayall, et autres Rolling Stones. Bien qu'il n'ait évidemment pas disparu localement (et ne le sera en ce sens jamais puisqu'il est partie intégrante de la culture américaine puis anglaise), il a progressivement, depuis la fin des sixties, laissé place a sa progéniture plus musclée, le hard rock, et le heavy metal. Puis, à l'aube des nos années Mitterrand, c'est le punk rock et la new wave qui s'arrogent les regards de tous. Pourtant, suivant ses travaux "Hard Again" (1977), et "I'm Ready" (1978), Muddy Waters prouve que le blues est bien vivant, avec "King Bee" (1981). Buddy Guy partage cet exploit la même année avec "Stone Crazy!". On ajoutera les sorties de B.B. King en 1981 et de John Lee Hooker en 1989. Lonnie Mack récupère un soupçon de lumière en 1985. Notons enfin le Jeff Healey Band arrivant du Canada !
Mais s'il y a bien une scène qui prolonge le succès de la note bleue en ces temps-ci, c'est bien celle du Texas. On y rencontre notamment Albert Collins et Johnny Copeland, qui réaliseront en 1985, en compagnie de l'excellent Robert Cray, l'album "Showdown!". Enfin, on a The Fabulous Thunderbirds, formé par Jimmy Vaughan, et le légendaire et célèbre Double Trouble (nommé ainsi d'après le morceau d'Otis Rush) mené par son petit frère, Stevie Ray Vaughan, que l'on a longtemps qualifié d'Hendrix des années 80. Johnny Winter, qui n'a jamais eu l'attention internationale qu'il méritait (qu'il a eue cependant au Texas) est actif à cette période. Songeons que Tommy Shannon, bassiste pour SRV, jouait auparavant pour Johnny. Et n'oublions pas ZZ Top, qui durant cette période, confirme sa position de leader texan !
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Le 31 mars 1985, jour de pause durant la tournée. |
Le mois précédent, c'est "Texas Flood" qui est mit en boîte, contenant entre autres le classique "Pride and Joy" et le shuffle "Rude Mood", suivi d'une signature chez le géant Epic Records, par le biais de John Hammond, responsable des lancées de Bob Dylan, Mike Bloomfield, ou Leonard Cohen. Une tournée cimente la réussite du jeune texan, lequel prépare son second titre durant la promotion de "Texas Flood" ; en janvier 1984. "Couldn't Stand the Weather" égale ou surpasse (à la volonté des auditeurs), l'initiale offrande : la reprise de "Voodoo Child" et le moins connu "Tin Pan Alley" de Robert Geddins sont des monuments du blues à eux seuls. Une seconde tournée d'une durée de plus d'un an et d'un ampleur phénoménal, s'achève pratiquement sur la fraiche composition de ce qui va constituer le troisième opus, "Soul to Soul". En effet, ce dernier est suscité durant les trois mois précédant la fin du voyage promotionnel. Pour la première fois, Reese Wynans, un claviériste, est recruté, apportant une dimension et une coloration encore plus jazzy, et se moulant ainsi dans la décennie très portée sur les claviers synthétiques. Celui-ci a déjà joué chez Captain Beyond, et avec une forme primitive des Allman Brothers !
"Say What!" déroule le tapis rouge sur une idée purement instrumentale, à l'image de "Scuttle Buttin'" introduisant "Couldn't Stand the Weather". On est impressionné par son habituelle main de maître, embellie par la wah-wah et les notes de Reese Wynans. Les deux titres cités feront office de démarrage lors des concerts du "Soul to Soul Tour" et du "Live Alive Tour", soit près de quatre ans. Le duo suivant de "Lookin' Out the Window" et "Look at Little Sister" sont extrêmement revitalisants. Le premier a été écrit par Doyle Bramhall lorsque Stevie était encore très jeune. Il a notamment rédigé "Dirty Pool" sur "Texas Flood". "Change It", le "hit" de ce recueil, est également signé Bramhall. Une inoubliable pièce selon nous, avec son final métronomique et tragique, hanté par les appuis de Wynans. Le second est une superbe restauration d'un classique de Hank Ballard de 1959. Ce titre était déjà présent durant les sessions de "Couldn't Stand the Weather".
"Ain't Gone 'n' Give Up on Love" est le "Tin Pan Alley" ou le "Texas Flood" de l'album, un blues sensuel, chaleureux et cordial. "Gone Home" est l'espace jazz accordé à "Soul to Soul", à la manière de "Stang's Swang". "You'll Be Mine" est un solide morceau issu de Willie Dixon, ainsi que l'excellent "Come On" de Earl King, popularisé par Hendrix, et ici présent comme une sorte de suite à l'hommage au dieu de Seattle, après "Voodoo Child". Enfin "Life Without You" achève le tout sur un ton émouvant, et sera bien souvent le titre ultime de la tournée de cette troisième livraison. Seul "Empty Arms" de Stevie lui-même, nous parait finalement assez médiocre.
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Affiche du concert du 5 juillet 1985 à Hambourg. |
Le patronyme de l’œuvre fait référence à la cohésion rencontrée par le groupe lors de la production, malgré le désordre causé par l'intensité des représentations et de l'abus de substances. A cette époque, la dépendance de SRV avait atteint son paroxysme. Néanmoins, la qualité des titres est au rendez-vous ! Souvent éludé et déclamé par la critique, "Soul to Soul" semble regarder ses grands frères avec un soupir de consternation, une bouteille de whisky à la main. Il figure injustement comme le seul enregistrement plutôt boudé (et nous disons bien "plutôt", car Stevie n'a jamais réellement sorti quoi que ce soit de contestable) de sa carrière, et on peut en quelque sorte le comprendre.
S'il est vrai que l'épuisement des tournées et la consomption de substances ont porté atteinte à la créativité (cela débouchera, lors de la promotion de la galette, à une dépression, une annulation de plusieurs dates, et un passage obligé à un centre de réhabilitation), que notre légende texane attestera elle-même (frustration et manque d'inspiration), cela n'empêche pas "Soul to Soul" d'être très accrocheur. Le combo "Lookin' Out the Window" et 'Look at Little Sister" est savoureux, "Ain't Gone 'n' Give Up on Love" est à la fois relaxant et dynamique, et "Change It" est définitivement ancré comme classique blues des eighties. Bien sur, les deux premiers ouvrages sont incroyables et témoignent d'un génie artistique, mais celui-ci, sans les égaler, se hisse à hauteur de leur cœur, et constitue un visage plus tranquille, substanté par un son puissant et clair. Son tragique accident d'hélicoptère en 1990 n'a jamais eu raison de son art, lequel transcende le temps, et octroie au blues une marque indélébile. Reste en paix, Stevie.
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Photographie prise durant le Montreux Jazz Festival du 15 juillet 1985. |
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