Jimi Hendrix et le Velvet Underground seraient-ils allés jusqu’aux confis des régions centrales du Sahara, devenant indirectement unes des figures de proue artistique d'un mouvement identitaire dont les traces remontent à plus d'un siècle ? Et bien oui ! Lui et ses prédécesseurs ont permis au peuple Touareg de retourner maintes fois le sable de leur territoire aux frontières plurielles. Pour résumer, l'histoire de cette ethnie berbère a été bouleversée par l'introduction et la fin de la colonisation française de l'Afrique, laquelle a provoqué son exclusion après son départ durant la seconde partie des années 50. En effet, la constitution des états post-coloniaux que sont le Mali, le Burkina Faso, l'Algérie, le Niger, et la Libye et l'indifférence face au sort des nomades touaregs à cheval entre tous ces pays, (qui désiraient également la naissance d'une nation organisée) vont alimenter chez ces derniers un sentiment de révolte permanent, émaillé par diverses révoltes armées entre 1916 et 2012 jusqu'à aujourd'hui.
Outre la guerre, c'est par la musique que ces peuplades vont revendiquer et solidifier leur langue (le tamasheq) et leur culture berbère si particulière. Dès le début des années 80, leur traditionnelles compositions vont se marier avec le rock et blues venus d'Occident. Tinariwen, définissant en tamasheq leur musique comme du "assouf" (signifiant "solitude" et dépeignant bien la mentalité blues transposée en Afrique) est le premier groupe d'un style nouveau nommé "Tishoumaren", mot dérivé du français, signifiant "chômeur" (idée d'exclusion, de rejet, et de perte de repères...), mêlant le rock psychédélique et le blues avec leur propre arsenal musical. Ce qui se déroule alors est très similaire à l'adaptation du primitif blues noir américain à l’instrumentalisation rock. De l'impulsion de cette bande originaire d'Algérie et du Mali, qui arrive à populariser le tishoumaren à l'internationale dès le milieu des années 2000, ainsi que du malien Ali Farka Touré (bien qu'il ne soit pas un touareg ; et qui collabore en 1993 avec Taj Mahal, et en 1994 avec Ry Cooder !), se sont bâties des formations telles que Bombino, Les Filles de Illighadad, et Mdou Moctar (qui se dit très affecté par ce qu'a produit Jimi Hendrix). Tout récemment, Etran de l'Aïr poursuit cette excellente union entre tradition du désert et modernité du blues rock avec "100% Sahara Guitar", leur deuxième recueil sorti en septembre.
Nos habitants du désert s'unissent en 1995 à Agadez, au Niger, alors qu'Ali Farka Touré rencontre un succès notable à l'internationale et que Tinariwen a sorti son tout premier album deux ans auparavant. Le noyau artistique est constitué de trois frères : Moussa Ibra "Abindi", soliste-guitariste et chanteur, Abdourahamane Ibra "Allamine" à la guitare rythmique et au chant, et Abdoulahi Ibrah "Illa" à la basse. C'est Alghabid Ghabdouan qui occupe la batterie sur "100% Sahara Guitar", afin de nous secouer, avec une précision impressionnante, de mesures exotiques. Ce n'est pas avant 2018 que l'on possède un enregistrement de leur part par l'intermédiaire du label Sahel Records, situé en Oregon, et qui a notamment édité les albums de Mdou Moctar, actuelle égérie du tishoumaren. Les nigériens d'Etran de l'Aïr ont auparavant surtout opéré autour de leur scène locale, animant certains évènements tels que des mariages. En 2022 est délivré "Agadez", marquant davantage leurs pas dans le paysage de l'assouf. Leur seconde offrande, confectionnée par les sables du Sahara, a bellement été anticipée grâce à l'extrait "Imouha".
Qu'en est-il de la musique ? Majoritairement composée en ternaire (en 6/8), elle reflète l'intensité de la chaleur du désert, par sa démarche "rituelle" et hypnotique. On trouve des similitudes avec le Velvet Underground, comme si ce dernier s'était imprégné des horizons sablés du Sahara. Contrairement au désormais "géant" du tishoumaren Mdou Moctar, qui domine la scène par son dernier opus "Funeral for Justice", Etran de l'Aïr propose un son plus simple, populaire, spontané, et idiosyncratique à ce qui se joue directement dans les villes d'Afrique. Avec l'ouverture de "Ighre Massina", on a un son vivant, émouvant, et rappelant rythmiquement les traditions artistiques autochtones. Le ternaire et doux "Erkazamane" regorge de mélodies incandescentes, tout comme "Igrawahi", "Erkimidwane", et "Adounia". "Amidinine" et "Imouha" (l'extrait promotionnel de ce recueil) sont certainement parmi les meilleurs titres de l'album, avec leur airs et riffs irrésistibles. On pourra sentir une répétitivité tout au long du disque, qui pourront surement épuiser certains. Il est à savoir qu'Etran de l'Aïr reproduit et transmet, à travers un matériel certes plus moderne, une saveur digne et ancrée dans la musique traditionnelle et populaire d'Afrique. Ainsi, on n'entendra pas ici de compositions si impressionnantes (à chercher davantage chez Mdou Moctar), mais une simplicité et sincérité profonde, dépeignant la mentalité et culture "assouf", des solitaires du désert, des nomades touaregs.
En compagnie des compatriotes de Mdou Moctar, véritable étendard prolifique du mouvement, qui depuis 2021 a rejoint les rangs de Matador Records (où sont catalogués Yo La Tengo et Pavement !), Etran de l'Aïr actualise avec panache le tishoumaren en 2024. On constate donc que c'est surtout au Niger (avec les efforts de Bombino et des Filles de Illighadad) qu'est localisée cette scène cherchant à faire entendre la voix du désert par l'art, et non par les armes. Il est évident de remarquer que ces groupes sont sédentarisés, puisqu'ils portent la destinée touareg par des instruments provenant de milieux urbains. Cela permet de comprendre que l'héritage de la culture de ces nomades vient à influencer les populations des villes, et que ces mêmes nomades viennent à être acceptés dans les pays environnants leur situation initiale. On ne souhaite qu'une envolée et une stabilité conséquente à cette originalité musicale exploitée. En effet, mêler tradition et modernité est la qualité primordiale inhérente à cet élan artistique, concrétisée avec finesse. Le désert, d'apparence morne, recèle en réalité des couleurs jamais vues précédemment ! Si vous aimez les musiques du monde (et en l'occurrence typiquement proche des sonorités de l'Afrique noire, bien que du fait de la position géographique, elle possède des éléments variés), et le rock des années 60 (à savoir le blues rock et le rock psychédélique), vous savez ce qu'il vous reste à faire !
7,5/10
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